Sara Favriau questionne depuis de nombreuses années, à la fois l’œuvre et son écosystème ; sa circularité. Par là, elle interroge son statut de sacré, intangible (exposition, acquisition), vers un possible statut de vivant : une œuvre évolutive, rejouée, transformée, altérée, appropriée par une pluralité d’acteurs. Elle espère par ce biais, développer et donner en partage une matière à réflexion, soutenir de nouvelles formes de pensées, à venir, et aux capacités inédites.
Plus particulièrement, sa démarche s’oriente vers des oeuvres-projets. Des œuvres qui portent leur propre récit. Une oeuvre-projet évolue, se raconte et se transforme comme la tradition de la transmission orale des griots, des contes ou encore du savoir technique des artisans transmis à l’apprenti dans l’atelier, traversée par le temps. C’est une démarche au caractère hybride, sans limite de genre, de médium, de technicité et d’expérimentation, où les processus de réalisation et de créations sont indissociables et privilégiés. Ils sont inhérents à l’œuvre comme la diversité des médiums employés. La rencontre des médiums, leurs usages dans le cas précis d’un projet, est un moyen d’augmenter la vie de l’œuvre, parfois même en allant jusqu’à sa destruction : sa disparition questionnant dans le même temps sa trace. Autrement dit, ces oeuvres-projets cherchent à repenser et à transgresser la cristallisation d’une œuvre d’art dans des espaces dévolus (acquisitions, collections, centre d’art, fondations...) et des médiums dédiés. Par là, travailler à une œuvre qui embrasse la permanence et l’interroge à travers ses transformations dans le temps.
Le travail de plasticienne de Sara est empreint d’une attention particulière aux enjeux environnementaux et sociétaux à travers la mise en jeu de matériaux, et de savoir-faire, qu’elle explore et détourne. Elle convoque des formes, des symboles et des procédés de nature populaire pour les transposer. Des procédés par lesquels, des sculptures, des installations, des performances sont en dialogue ; une cabane, une pirogue, des passerelles, un arbre, le voguing... sont autant d’éléments qui font partie de son vocabulaire formel et conceptuel, portant leur propre dramaturgie : leur mise en acte poétique. C’est une rencontre entre temporalité et territoire qu’elle développe depuis des années. Comment l’histoire et ses traces, l’immuable et l’éphémère, comment ces deux temporalités ou même géographies, peuvent être – par leur mise en commun – singulières.Ce métissage est au cœur de ses intentions : imbriquer la métamorphose, la fiction et l’essai, mais aussi l’analyse, la sociologie des milieux, enfin la poétique, selon une forme simple. Selon des actions essentielles, comme un arbre-pirogue qui traverse une mer, pour retrouver une forêt.
Ces dernières années, ce métissage apparaît avec des sculptures qui sont pour la plupart activées par des performances puis réanimées en films. Chaque médium et média, leur addition (sculpture - performance - film), augmente le projet de départ, une sculpture. Ce mélange démantèle l’idée qu’une œuvre est circonscrite. Un glissement qui résonne, interagit, et fait coexister l’œuvre et sa transformation sur le temps long. Ces performances, discrètes, préexistent par des films mi-fictions, mi-documentaires que Sara Favriau réalise. Un moyen de questionner en parallèle l’Archive (scientifique) et le Récit (poétique) : archive du processus de mise en œuvre d’une sculpture vers une performance, et transposition d’une performance vers un récit : la vidéo.